L’influence de Tolkien dans la musique – Première partie
Un voyageur perdu arrive dans un pays lointain, où il entendra le récit de musiciens de tous horizons inspirés par la Terre du Milieu…
(Retrouvez ici notre playlist pour accompagner votre lecture…)
Des traces de pas dans le sable et le bruit des vagues derrière nous. Nous ne savons plus d’où nous venons, mais une chose est certaine : nous nous sommes échoués dans une étrange contrée. En ces lieux règnent en conflit l’Ombre et la Lumière et la Musique des Ainur y est puissante. Remontons le temps et évoquons celui qui est à l’origine de tout…
Depuis près d’un demi-siècle, l’oeuvre de J.R.R Tolkien continue de laisser une profonde empreinte sur la culture de l’imaginaire. Son immense talent et la persévérance sans faille dont il a fait preuve lui ont permis de bâtir un univers vaste, d’une richesse et d’une cohérence telles, que le nom de Tolkien continue d’inspirer des milliers d’artistes à travers le monde. C’est le domaine de la musique qui nous intéressera ici et, loin de se vouloir exhaustifs, nous chercherons à suggérer quelques pistes, pour celles et ceux qui s’intéressent à la portée significative de son univers. Ensemble, nous découvrirons des formations dont la musique nous semblera étrange, enchanteresse et mélodieuse, ou sombre et parfois même dissonante. À l’image de ceux qui savent se perdre parmi les lignes de cette oeuvre fabuleuse, entre les magnifiques forêts de la Lothlórien et les gouffres arides du Mordor, il est des musiciens pour interpréter cet univers de contrastes. Une symbiose évidente, la musique étant par essence un art de l’imagination capable de générer de puissantes visions.
Une foule se dresse devant nous. Il y a de l’électricité dans l’air et un frisson nous parcourt l’échine. Un instrument curieux semble capter l’attention de l’auditoire, une forme longue sur laquelle viennent se tendre six cordes. D’un coup sec, une main fait trembler les cordes, produisant un son puissant et massif. La terre se met à trembler.
Le Seigneur des Anneaux est publié en 1954 et 1955, mais son influence ne se fait sentir qu’une dizaine d’années plus tard, période à laquelle l’oeuvre commence à enflammer l’imagination fertile de quelques musiciens, et non des moindres. Pionniers eux-mêmes d’un genre en pleine naissance, les Beatles songent un temps à monter une comédie musicale adaptée de la trilogie best-seller de Tolkien. L’idée semble plaire aux quatre garçons dans le vent et John Lennon s’imagine déjà incarner Gollum. Cependant, le projet n’ira pas plus loin, car le groupe se voit refuser catégoriquement l’adaptation par Tolkien, déjà agacé par le rock qu’il ne comprend pas, allant jusqu’à le qualifier de “bruit indescriptible” dans une lettre (1) rédigée en 1964. Mais l’auteur n’est pas au bout de ses surprises, puisqu’en 1967, paraît The Ballad of Bilbo Baggins, interprété par un grand personnage aux oreilles pointues dont le lien avec la Terre du Milieu est cependant difficile à percevoir. Ce titre — qui n’est pas le point le plus marquant de la carrière du regretté Leonard Nimoy — constitue pourtant, à sa manière, l’une des premières intrusions de la Terre du Milieu dans le domaine musical.
Dans les années 70, alors qu’une partie de la jeunesse américaine se réapproprie des personnages emblématiques comme Frodo ou Gandalf, certaines références aux oeuvres de Tolkien font irruption au sein d’une poignée de groupes. Elles sont tout d’abord discrètes, comme dans les paroles de The Wizard, par Black Sabbath sur l’album éponyme (1970). On y évoque un magicien dont l’apparence rappelle fortement un vieux barbu coiffé d’un chapeau pointu, errant sur les sentiers. Autre exemple célèbre, Robert Plant, chanteur du groupe Led Zeppelin et admirateur de Tolkien, s’amuse à disséminer des références dans quelques titres mémorables. Dans The Battle of Evermore, de l’album Led Zeppelin IV (1971), il est question d’une Reine de Lumière, d’un Seigneur Ténébreux et de Cavaliers Noirs. Dans Ramble on, les paroles sont plus explicites :
« It was in the darkest depths of Mordor
I met a girl so fair
But Gollum, and the evil one
crept up and slipped away with her »
« Dans les plus sombres profondeurs du Mordor
Je fis la rencontre d’une fille si belle
Mais Gollum et le Seigneur des Ténèbres
rampèrent jusqu’à elle,
et l’emmenèrent. »
Ces clins d’oeil, suivis bientôt par beaucoup d’autres, sont lancés par deux des futurs piliers de ce que l’on nommera plus tard le heavy metal. Mêlant à la fois puissance et agressivité, ce genre musical partage les thématiques et l’imagerie de la fantasy et permet bientôt à des millions d’adeptes dans le monde d’échapper à leur quotidien sur dos de dragons, comme ils pouvaient déjà le faire au travers de la littérature de l’imaginaire.
Ainsi débute la longue histoire commune entre la fantasy contemporaine, portée principalement par des auteurs tels que J.R.R Tolkien, Robert E. Howard ou Michael Moorcock et les guitares saturées. Deux courants qui ne se quittent dorénavant plus. Au cours des années 70 qui voient la disparition de l’auteur anglais, des groupes de rock commencent, eux aussi, à creuser le sillon et continuent d’emprunter à la Terre du Milieu. Le groupe Rush évoque la vallée cachée d’Elrond dans le beau morceau Rivendell et invoque Sauron dans un titre plus progressif The Necromancer, morceau-fleuve dépassant une dizaine de minutes. Dans un registre proche de ce que faisait Pink Floyd à la même époque, le groupe Camel rend hommage à Tolkien à travers Nimrodel, morceau aérien qui, avec ses solos et ses claviers cosmiques, se rapproche du space rock.
Bien des années plus tard, c’est Bob Catley, chanteur/guitariste du groupe Magnum, qui nous offre l’un des premiers albums rock/metal entièrement dédiés à la Terre du Milieu. L’artiste nous propose une vision plus calme avec son album Middle Earth (2001). Plus près de nous, les groupes continuent d’évoquer Tolkien parfois au détour de quelques lignes avec les titres Elvenpath et Wishmaster de Nightwish, quand ils ne lui dédient pas l’intégralité de leur discographie comme le groupe de folk metal Battlelore…
Mais c’est véritablement Blind Guardian qui marque l’histoire du metal avec son album Nightfall in Middle Earth (1998), dédiant l’intégralité de celui-ci à l’épopée du peuple elfique des Noldor, telle qu’on la retrouve relatée dans le Silmarillion. Cet album thématique propose de nombreuses pistes phares, dont certaines sont devenues des hymnes à part entière. Dépassant l’heure d’écoute, cet album ultra-mélodique est entrecoupé de nombreux extraits de dialogues servant de transition entre les morceaux, à la manière d’un livre audio. Si cet album reste l’un des plus connus lorsqu’il s’agit des oeuvres musicales dédiées à la Terre du Milieu, nous verrons par la suite que les genres descendants du heavy metal se sont plus particulièrement attachés à amener les oeuvres du professeur dans un registre beaucoup plus sombre.
Mais pour l’heure, poursuivons dans des registres plus reposants, au coin du feu et accompagnés d’une légère brise…
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Notre voyage nous mène au milieu d’une clairière gorgée de lumière. Les elfes prennent place, certains sont accompagnés d’instruments, d’autres commencent à jouer quelques airs typiques. Tandis que nous nous préparons à les écouter, l’un d’entre eux s’approche. Quelles sont ces mélodies si douces à nos oreilles ?
Du vivant de l’auteur, un compositeur prend l’initiative de composer à partir de sa lecture du Seigneur des Anneaux. C’est ainsi que Donald Swann contacte directement Tolkien par l’intermédiaire de sa maison d’édition, Georges Allen & Unwin et lui rend visite en mai 1965 pour lui exposer ses travaux. Ceux-ci le conduisent à l’écriture d’un cycle musical basé sur huit poèmes : sept provenant du Seigneur des Anneaux et un des Aventures de Tom Bombadil.
En 1967, The Road Goes Ever On sort ainsi une première fois sous forme de livre de partitions, puis connaît deux rééditions en 1978 et 1993. Une captation est même effectuée, et devant la difficulté à se le procurer avec les années, un nouvel enregistrement paraît en 1995 avec l’aide de la Tolkien Estate néerlandaise. Il est important de noter l’implication de Tolkien lui-même dans la création de ce cycle musical, en tout premier lieu parce que c’est l’une c’est l’une des seules interprétations musicales de ses oeuvres qu’il entend et qu’il semble apprécier, mais aussi parce qu’il participe à l’élaboration d’un document calligraphique en Quenya et en Sindarin, sur deux poèmes bien connus: Namárië et A Elbereth Gilthoniel. Ce document devient l’une des premières études importantes des langues inventées par le Professeur.
Entre 1980 et 1982, presque une dizaine d’année après la disparition de l’auteur, Ensio Kosta, compositeur finlandais, compose une série de plusieurs thèmes dédiés, avec Music of Middle Earth. Des thèmes élaborés autour de plusieurs personnages ou événements majeurs de l’oeuvre de Tolkien. Les plus cinéphiles reconnaîtront d’ailleurs des sonorités sans doute influencées par ce qui se faisait à l’époque, notamment la cultissime bande originale du film Conan le Barbare. Nous y retrouvons le même mélange savant de sonorités épiques et de mélodies touchantes. Sans doute l’un des meilleurs albums classiques inspirés par le travail de Tolkien, qui mérite de trouver son public encore aujourd’hui.
Formé en 1995, le Tolkien Ensemble — collectif musical danois — sort quatre albums entre 1997 et 2005, tous basés sur les poèmes du Seigneur des Anneaux. Un projet ambitieux, puisqu’il s’agit de les reprendre en totalité, objectif qu’ils accomplissent à travers leur discographie, avec l’approbation de la famille de Tolkien mais aussi de l’éditeur de ses oeuvres, HarperCollins. Malgré la reconnaissance de la formation, les albums restent pourtant particulièrement difficiles à se procurer. À l’époque de la sortie du premier film de la trilogie de Peter Jackson, le Tolkien Ensemble est même invité à jouer lors de l’avant-première à Copenhague. Les musiciens font là une heureuse rencontre en la personne de Christopher Lee, légendaire acteur dont la passion pour l’oeuvre de Tolkien n’est plus un secret. De cette rencontre va naître une collaboration entre l’acteur/chanteur et la formation, qui conduira à sa participation régulière sur les albums du Tolkien Ensemble.
Nous achevons la première partie de notre voyage dans les recoins les plus lumineux de la Terre du Milieu en compagnie de deux formations. La première, Caprice, est originaire de Russie. Selon Anton Brejestovski, leader du groupe, la musique à été voulue pour donner le sentiment qu’elle a été « composée par les elfes eux-mêmes », impression que l’on ressent particulièrement sur la trilogie Elvenmusic. Sortis entre 2001 et 2006, nous retrouvons sur ces albums des influences classiques, tels que Shostakovich et Tchaikovsky, avec une nouvelle fois les poèmes de Tolkien à la base des paroles. Principalement portée par un chant féminin, le tout est joué par des musiciens appartenant à des ensembles aussi prestigieux que le Conservatoir National Russe. Caprice propose une musique douce, enchanteresse et insouciante, souvent accompagnée de rires et de murmures et l’on imagine sans mal ces morceaux joués par un groupe d’elfes au coin du feu.
La seconde formation, Ainulindalë est à l’origine un projet du musicien français Thomas Reybard. C’est la guitare acoustique de Thomas qui domine ici, rejoint de temps à autre par des violons, flûtes et même une chorale. Souvent portés par des airs tristes à la fois beaux et entraînants, les légers arpèges de la guitare nous emportent à travers les forêts à la recherche de la Dame Lúthien ou près des côtes septentrionales de la région de Nevrast. Chantés en anglais par Thomas lui-même, ces morceaux apaisants et propices à la rêverie, s’écoutent de préférence à la nuit tombée, ou à défaut, les yeux fermés.
Ces deux projets nous donnent le sentiment d’être assis au coeur des forêts du Premier Âge, légers et apaisés, en immersion complète dans la jeunesse du Premier Peuple, avant que la lumière des Deux Arbres ne s’éteigne…
Mais déjà les nuages s’accumulent dans le ciel, et nous devons reprendre la route, si nous le pouvons…
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Nous reviendrons dans une seconde partie sur l’héritage de Tolkien et de son oeuvre à travers les genres musicaux que sont le black metal et le dungeon synth – bien moins accessibles – qui méritent à eux seuls quelques pages dédiées…
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(1) Extrait de la lettre que Tolkien adresse à Christopher Bretherton dans laquelle il évoque les Beatles :
« But Headington is no paradise of peace. […] In addition in a house three doors away, dwells a member of a group of young men who are evidently aiming to turn themselves into a Beatle Group. On days when it falls to his turn to have a practice session the noise is indescribable… »
« Mais Headigton n’est pas un havre de paix […] De plus, vit à trois portes d’ici le membre d’un groupe de jeunes gens qui se destinent visiblement à devenir les nouveaux « Beatle ». Quand le groupe répète chez lui, le bruit est indescriptible… »
J’ai eu peur en ne voyant pas cité Summoning, puis j’ai lu la fin de l’article 😀
Merci pour cet article très instructif et pour la playlist que je vais m’empresser de découvrir!
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