Retour sur la soirée Tolkien organisée par la BNF

Mercredi 23 novembre 2016 s’est tenue une soirée exceptionnelle à la Bibliothèque Nationale de France, à l’occasion de la sortie de la nouvelle traduction du Retour du Roi par Daniel Lauzon. Nous vous proposons un retour sur cet événement, suivi de la vidéo enregistrée par la BNF.

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    Ayant fait route depuis Brest jusqu’à Paris, j’ai eu la chance d’assister à cet événement qui promettait d’être palpitant. Organisée dans le Grand Auditorium de la Bibliothèque François Mitterrand, la soirée a rassemblé bon nombre de passionnés, prêts à écouter les interventions des grands noms réunis sur scène : Anne Besson1, Stéphane Marsan2, Pierre Krause3, chargé d’animer la rencontre, Louise Fauduet4 et, bien évidemment, Vincent Ferré accompagné de Daniel Lauzon, traducteur du Seigneur des Anneaux et invité d’honneur venu de Montréal.

    Vincent Ferré a tout d’abord remercié la BNF, Dominique Bourgois – présente dans la salle – ainsi que ses collègues présents sur scène, avant de rappeler quelques points importants de la vie de Tolkien et de son œuvre. Mais c’est la lecture d’un passage du Retour du Roi par le comédien Frédéric Largier qui a véritablement ouvert les festivités. Le décor était planté, les auditeurs attentifs, la soirée pouvait commencer, entre échanges captivants et lectures vibrantes d’extraits de l’ouvrage.

    Tout au long de la soirée, les différents intervenants ont successivement discuté de la réception de Tolkien en France, de l’impact de l’auteur sur le genre de la fantasy et de son héritage ainsi que de sa reconnaissance tardive dans le milieu universitaire français. Anne Besson a d’ailleurs précisé que les recherches universitaires s’étaient depuis lors démocratisées en France, ouvrant la voie à une possible relève.

rdr-une    Cependant, l’essentiel de la soirée a été consacré à la nouvelle traduction du Seigneur des Anneaux. Le premier point abordé concernait l’origine de cette nouvelle version proposée par les Éditions Bourgois. Les auditeurs ont ainsi appris qu’elle était intimement liée à l’appropriation des travaux de Tolkien par les lecteurs via les sites internet qui lui sont consacrés et qui ont commencé à fleurir sur la toile à la fin des années 90. C’est sur le forum de l’un d’eux – JRRVF – que Vincent Ferré et Daniel Lauzon ont fait connaissance et qu’ils se sont livrés peu à peu à un exercice intéressant : relever les coquilles et erreurs présentes dans la première traduction. Il faut dire qu’à l’époque où Francis Ledoux a travaillé sur l’œuvre, il ne disposait pas des connaissances actuelles, plus abouties ; seul le sommet de l’iceberg lui était accessible. En outre, il semble également avoir tenté de « légitimer » un auteur encore peu reconnu en France, comme le suggèrent l’emploi systématique du vouvoiement et l’usage de l’imparfait du subjonctif, qui tranchent nettement avec la variation des registres qu’utilisait Tolkien. Ces éléments expliquent à la fois les erreurs et les maladresses de Francis Ledoux ainsi que la naissance du projet « coquilles » – près de 900 pages – initié par Vincent Ferré et Daniel Lauzon. Ces derniers ignoraient alors que leur méticuleux travail aboutirait, bien des années plus tard, à la publication d’une nouvelle traduction. Pour l’heure, bien qu’hypothétique, seule une révision leur semblait envisageable.

    Comment est-on passé d’une éventuelle révision du Seigneur des Anneaux à la publication entre 2014 et 2016 d’une toute nouvelle traduction ? Le projet de correction fit l’objet de discussions avec Christian Bourgois, cependant – fait assez rare autour de Tolkien pour être souligné – la maison d’édition poursuivait, avant tout, l’idée de publier l’intégralité de ses écrits. La priorité allait donc aux inédits. C’est d’ailleurs ce que nous a rappelé Vincent Ferré en mettant en avant le travail effectué depuis la toute première soirée dédiée à Tolkien, organisée par la BNF en 2004. Ce n’est qu’avec la publication du Hobbit annoté que Dominique Bourgois a pris l’initiative de piloter une nouvelle traduction des aventures de Bilbo. C’est à Daniel Lauzon, qui avait déjà travaillé sur des récits de Tolkien, qu’elle a alors confié cette tâche. L’étape suivante consistait, bien évidemment, à livrer une nouvelle adaptation du Seigneur des Anneaux qui harmoniserait les deux ouvrages. Aussi, bien que le projet « coquilles » n’ait pas nécessairement poursuivi ce but, il aura eu le mérite de préparer Daniel Lauzon, lui permettant de disposer d’une excellente connaissance de l’œuvre originelle et de ses subtilités. En outre, il l’aura aidé à voir et à comprendre les difficultés rencontrées par Francis Ledoux et donc, à mieux les anticiper.

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Un auditoire attentif. Crédit photo : Kenan Barbier

    Mais quelles finalités pouvait-on trouver à cette nouvelle traduction ? Nous savons que la justification financière du projet n’est pas une raison pertinente, au regard du coût qu’engendre inévitablement ce type de production. Dans ce cas, l’objectif était-il de moderniser le récit ? Au-delà d’une simple correction des erreurs par une révision du texte, et au-delà de l’harmonisation des aventures respectives de Bilbo et de Frodo, l’objectif poursuivi n’avait rien à voir avec la modernisation. Le souhait de Daniel Lauzon : être aussi fidèle que possible aux idées et aux choix de Tolkien. Nombreux sont les lecteurs français qui, découvrant pour la première fois le texte original, ont eu le sentiment de n’avoir pas réellement accédé au récit dans la version signée Francis Ledoux. Cette frustration de lecteur, sans doute partagée par Daniel Lauzon, explique alors sa démarche. Les mots d’ordre : proximité et fidélité. Daniel Lauzon a mené un travail de fond pour réussir à restituer aussi bien la poésie du texte que le registre de langue de chaque personnage.

    Qu’en est-il alors d’une potentielle autre nouvelle traduction ? Après tout, le Seigneur des Anneaux a été traduit une première fois, il l’est une seconde fois, pourquoi pas une troisième ? Comme nous l’a indiqué Vincent Ferré, il s’agit là d’un travail titanesque qui sous-entend une très grande implication. Daniel Lauzon, qui disposait déjà d’une excellente connaissance de l’œuvre, a consacré une année entière à chacun des volumes. La traduction des poèmes et des chants, pourtant simple fraction de l’ensemble, constituait un véritable défi, puisqu’il fallait réussir à en conserver le sens et la musicalité. Mais le plus dur était de parvenir à restaurer en français la puissance de ces passages, pour faire naître chez le lecteur une émotion comparable à celle ressentie par les anglophones devant le texte originel. Notons qu’il ne s’agit là que d’une vue partielle du travail du traducteur. Daniel Lauzon a indiqué qu’il a consacré de très longues heures au Livre V où une part non négligeable des intrigues du récit trouve leur dénouement. Le Retour du Roi suit un rythme très différent de celui de la Fraternité de l’Anneau, dans la mesure où de nouveaux protagonistes, d’origines diverses et variées, y font leur apparition. Tout comme pour le Conseil d’Elrond dans le Livre II, il s’agissait ici de permettre aux lecteurs de discerner les différents registres de langues, liés à l’extraction sociale ou aux origines des personnages.

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Le Seigneur des Anneaux, une traduction du Livre Rouge de la Marche de l’Ouest. Illustration : Alan Lee

….En outre, nous savons que Tolkien présentait le Seigneur des Anneaux comme issu de textes en langues elfiques qu’il aurait ensuite adaptés pour un public anglophone. Cette mise en abîme rend la tâche de tout traducteur d’autant plus complexe : si Tolkien utilisait du vieil anglais pour rendre la langue des Rohirrims, quelle langue utiliser pour une version française ? De son propre aveu, c’est face à ce type de questions que Vincent Ferré a eu le sentiment de devenir « dingue », tandis que Daniel Lauzon parvenait systématiquement à démêler les nœuds occasionnés par le va-et-vient constant qu’il effectuait dans les réseaux de langues, ce qui avait le don de bluffer son collègue. Vincent Ferré a conclu qu’une autre traduction serait effectivement possible, mais qu’elle impliquerait un travail tout aussi colossal. Il a ajouté en plaisantant que ce travail se ferait sans lui cette fois, provoquant les rires de l’assemblée.

    Tolkien, insatisfait par la version suédoise de son récit a rédigé des indications à l’usage des traducteurs, connues sous le nom de Guide to the Names. Quel usage Daniel Lauzon a-t-il fait de ce guide et était-il possible de suivre à la lettre toutes les indications de l’auteur ? Pour répondre à cette question, posée par l’un des spectateurs de la table ronde, Daniel Lauzon a précisé que ce guide offrait de nombreuses propositions de traduction pour les langues germaniques, mais beaucoup moins pour les langues romanes. Dans ce guide, Tolkien indique quels termes doivent être adaptés et lance des pistes en renseignant l’étymologie des noms à traduire. Cependant il n’est pas toujours cohérent, comme l’a souligné Vincent Ferré. Par exemple, la Lune et le Soleil, respectivement masculin et féminin chez les Elfes, se voient occasionnellement attribuer un pronom neutre au fil du récit. Dans ce cas, quand appliquer l’inversion féminin/masculin et quand ne pas le faire ? Il est parfois nécessaire d’interpréter ses indications. Daniel Lauzon a constamment cherché à se rapprocher le plus possible du texte original et des instructions de Tolkien pour permettre au lecteur francophone une plus grande proximité avec l’œuvre. Comme il l’a déjà indiqué, c’est cette volonté qui se trouve au fondement du travail.

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Vincent Ferré et Daniel Lauzon à la rencontre des auditeurs. Crédit photo : Spooky

    Après quelques questions de l’assistance, la soirée s’est achevée par la lecture de nouveaux extraits du Retour du Roi par Frédéric Largier. Les auditeurs, conviés à se rendre dans le hall du Grand Auditorium pour y rencontrer tous les intervenants, ont pu ainsi échanger avec eux dans la bonne humeur générale. Le prochain rendez-vous de la BNF consacré à Tolkien devrait avoir lieu en 2019 autour d’une exposition, autant vous dire qu’il nous tarde !

    De Retour à Brest, il ne me reste qu’à remercier les Éditions Bourgois, la BNF, l’ensemble des invités de la table ronde, ainsi que Vincent Ferré et Daniel Lauzon pour cette soirée mémorable. J’en profite également pour saluer la prestation de Frédéric Largier dont la lecture a permis de mettre en lumière, avec beaucoup de talent, la qualité de la traduction fournie par Daniel Lauzon. Il a fait naître en nous l’espoir d’un livre audio raconté avec un tel brio. Aussi, si par hasard les Éditions Bourgois et Audiolib, qui avaient déjà publié conjointement un livre audio du Hobbit, passent par ici, puissent-ils entendre notre appel et demander à Frédéric Largier de nous conter l’histoire de Frodo aux neuf doigts !

— Mise à jour du 01/02/2017 : la vidéo disponible —

Si vous voulez vivre ou revivre cet événement, la BNF vient de mettre à disposition la captation vidéo et audio de la soirée du 23 novembre ! Bon visionnage !

conf


1. Maître de conférences en Littérature Générale et Comparée à l’Université d’Artois.
.2. Cofondateur des éditions Bragelonne.
.3. Responsable éditorial sur Babelio.com.
.4. Chef de service Multimédias, direction des Collections, département de l’Audiovisuel, service Multimédias de la BNF.

Alexandre

Administrateur du site depuis fin 2013, Alexandre est un passionné. C'est ce qui l'a conduit à étudier les écrits du Légendaire dans un mémoire consacré à la résurgence de la période contemporaine et à la réappropriation de motifs médiévaux dans le Seigneur des Anneaux, mais aussi à explorer Oxford sur les traces de Tolkien.

2 pensées sur “Retour sur la soirée Tolkien organisée par la BNF

  • 2 décembre 2016 à 20 h 35 min
    Permalink

    Hey c’est moi pour qui Daniel Lauzon signe sur la dernière photo !

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